jeudi 30 avril 2009
mercredi 29 avril 2009
Robert Mallet-Stevens
mardi 28 avril 2009
lundi 27 avril 2009
R.J. Culter : The September Issue / Anna Wintour
R.J. Cutler is the director of the The September Issue, a documentary chronicling Vogue editor-in-chief Anna Wintour's preparations for the 2008 fall-fashion issue. The film is being screened now at the Sundance film festival. R.J. Cutler appeared together with Anna Wintour for a Q&A at Sundance. It sounds like there are both things Anna Wintour would have liked to have been in the film as well as things she wish had not been in the film. In the end the decision as to what went in the documentary was Cutler's. It sounds like a very interesting film. Take a look: (via Chic Report)
dimanche 26 avril 2009
Le siècle du Jazz
Un dialogue inédit entre la musique, la peinture, la photographie, le cinéma, la littérature, le graphisme et les arts plastiques. Tout au long d’un parcours chronologique et thématique, Daniel Soutif, philosophe, critique d’art et chroniqueur spécialiste du jazz (Libération et Jazz magasine), commissaire de cette exposition, nous transporte dans Le siècle du Jazz .
samedi 25 avril 2009
Vincent Corpet
Médium...Une image peut en cacher une autre Arcimboldo, Dali, Raetz
Fascinés par les phénomènes optiques et curieux d'explorer leur médium, les artistes sont à l'origine d'une longue histoire où ils jouent aussi bien avec l'image qu'avec le spectateur. Trouvant un support à l'imagination dans des formes naturelles ou accidentelles, ils ont fait de même avec leurs propres créations. Ils suggèrent des aspects implicites ou cachés et multiplient les manières de voir et d'interpréter leurs œuvres. Ils ont ainsi exploité l'ambiguïté visuelle et produit des images doubles dans un esprit ludique, pour introduire des niveaux de signification accessibles aux initiés, et pour réfléchir à la perception, la représentation et l'invention visuelles. Tout le monde connaît Arcimboldo et ses portraits composites, dont certains sont aussi réversibles, et le maître moderne de l'image ambiguë qu'est Dalí. Mais beaucoup d'autres images multiples ne sont connues que de peu et on s'est longtemps méfié du caractère subjectif de leur reconnaissance, préférant les attribuer au hasard. C'est pourquoi les commissaires de l'exposition ont pris le parti de ne montrer que des œuvres qui peuvent faire l'objet d'un consensus et dans lesquelles on a de bonnes raisons de penser que l'ambiguïté a été consciemment voulue par l'artiste. A l'issue d'une sélection rigoureuse, ils ont retenu quelques 250 objets - peintures, dessins et gravures, mais aussi sculptures et films - de provenances très diverses et qui s'éclairent les uns les autres. Ils composent une autre histoire de l'art, de la préhistoire au temps présent, tout en mettant en évidence des thèmes et motifs récurrents comme le paysage anthropomorphe, l'analogie entre visage et torse, l'ambiguïté sexuelle, l'illusion spatiale ou encore l'interprétation de taches comme dans le test de Rorschach.
Une place particulière revient à Dalí, qui a consacré son œuvre à la création d'« images à figurations multiples » proposant des scénarios divers, aussi énigmatiques qu'imprévisibles. C'est d'ailleurs sous le signe d'une toile fameuse de l'artiste, L'Enigme sans fin (1938), qu'une première mouture de l'exposition fut présentée en 2003 au Museum Kunst Palast de Düsseldorf. L'exposition parisienne reprend le même concept mais en donne une version entièrement renouvelée et considérablement enrichie. Elle réunit autour des toiles du maître catalan des œuvres provenant d'époques et de sphères culturelles diverses qui incluent tous les continents. Leurs sujets incluent la figure humaine, illustrée par les images des Saisons d'Arcimboldo, le paysage qui va de la Renaissance à Max Ernst, ou l'architecture avec les perspectives impossibles d'Escher ; mais ils mettent aussi en cause la séparation des genres et des règnes et rapprochent ou mêlent le monde des humains, celui des objets et la nature tout entière. Ils combinent aussi souvent l'image et le langage, conformément à la parenté entre l'image multiple et le jeu de mots. L'art contemporain est particulièrement riche de ce point de vue et apporte des techniques et des formes nouvelles d'ambiguïté visuelle, dont les extraordinaires anamorphoses tridimensionnelles du suisse Markus Raetz. De Michel-Ange à Raetz en passant par les miniatures persanes ou les cartes postales érotiques du tournant de 1900, l'exposition retrace le panorama riche et étrange d'une pratique aussi singulière qu'elle est répandue. Elle porte notre attention sur la diversité des chemins empruntés par les artistes jouant avec la perception visuelle et met l'accent sur la complexité et la permanence de ce principe de création. Les images doubles et multiples ont souvent été considérées comme douteuses ou marginales. L'exposition montre qu'il n'en est rien et qu'en interrogeant la perception, images cachées et sens multiples peuplent les plus grandes œuvres d'art. Elle entend promouvoir le dialogue que ces œuvres recherchent avec un spectateur actif. Véritable événement, cette exposition est une occasion inédite de revisiter l'œuvre de nombreux artistes et d'en découvrir les dessous les plus inattendus.
L'exposition salle par salle
scénographie : Véronique Dollfus
1.Mythes d‘origine
Cette exposition rassemble des œuvres dont certaines formes visuellement ambiguës peuvent être interprétées de plusieurs façons différentes. Salvador Dalí qui en a fait grand usage, les a appelées « doubles images ». Leur caractère ludique leur a valu une large diffusion populaire à travers la gravure, en particulier au XIXème siècle. Les images-devinettes d'Epinal et les « Vexierbilder » allemands propagent deux clichés promus à un grand succès : la jeune fille et sa grand mère et le canard-lapin, dont de nombreux artistes se sont inspirés. Le phénomène de la ligne délimitant deux formes perçues alternativement selon un jeu de négatif-positif est identifié sous le nom de vase de Rubin, mais était connu bien avant cette publication. Le vide créé par le contour d'un objet, aussi bien que son ombre, peuvent révéler une image inattendue. Les doubles images peuvent naître de l'ingéniosité du trait de crayon, mais elles peuvent aussi surgir dans la nature : rochers et troncs d'arbre fournissent maints exemples de suggestions figuratives. La sexualité, autant que les tabous religieux et politiques, a servi de ressort à la création d'ouvrages ambigus dans des cultures et à des époques très variées.
2. Imitation et imagination
Les témoignages variés sur l'image double à la Renaissance révèlent le rôle central des notions de mimésis et de fantasia dans la conception nouvelle de l'art qui s'élabore, affirmant la maîtrise des apparences, l'individualité et l'invention de l'artiste (Dürer). Les rochers prenant l'apparence d'un visage se multiplient dans la peinture religieuse et représentent la face minérale, sauvage et stérile de l'ancien monde supplanté par l'avènement du christianisme. La représentation de la terre comme un organisme vivant assimilé au corps humain était par ailleurs répandue dans la littérature. La nature environnante, végétation ou rocher, reprend souvent comme en écho les formes les plus signifiantes des figures principales.
3. Aveuglement et discernement
La prétention des images à participer à un processus d'élévation du regard corporel vers la contemplation spirituelle, est l'une des questions fondamentales de l'art chrétien. C'est à cette vision tendue entre aveuglement charnel et discernement spirituel et aux énigmes des Écritures, qu'il faut rapporter les nombreux exemples d'images doubles dans la peinture religieuse de la Renaissance. Herri met de Bles avait la réputation de cacher sa signature emblématique, une minuscule chouette, dans chacun de ses tableaux, ainsi placés sous le signe du discernement et de l'apparence trompeuse. Les figures anthropomorphes dissimulées dans les formations rocheuses et la végétation, et les protagonistes qui exemplifient des états de vision variés - clairvoyance, songe, aveuglement, illusion des apparences - sont les composantes structurelles d'une rhétorique picturale de transformation de la vision et d'appel au discernement à laquelle ces paysages sont voués. « Que ceux qui ont des yeux voient ! ».
4. Images composites et visions allégoriques
Le peintre milanais Giuseppe Arcimboldo passe vingt cinq années à la cour des Habsbourg, au service de trois empereurs successifs. Il crée pour leur cabinet de curiosités, mêlant artificialia et naturalia (ouvrages de l'homme et de la nature), des portraits composites où le visible interfère avec l'aspect caché des choses. Ce sont des assemblages d'êtres et d'objets réels minutieusement identifiés et reproduits, correspondant à un inventaire en cours des espèces. Deux principes de lecture et deux temporalités sont réunis : l'une produit la vision immédiate d'un portrait, l'autre suppose le déchiffrement d'une multitude d'objets hétérogènes par un spectateur actif. Le processus s'inverse dans les images réversibles. L'inexistant de l'imaginaire est produit avec l'existant. Les quatre saisons symbolisent les quatre âges de l'homme, ainsi que les quatre tempéraments : sanguin, colérique, mélancolique et flegmatique. Elles témoignent en outre de la domination du souverain sur la permanence du rythme des saisons et des récoltes.
5. Miniatures Mogholes
Les miniatures mogholes composites fonctionnent selon le même principe que les portraits d'Arcimboldo. Elles sont issues d'ateliers perses et indiens aux XVIe et XVIIe siècles. Les chevaux, dromadaires ou éléphants sont faits d'une multitude d'animaux sauvages, de combats et de scènes galantes représentant les passions et le désordre. Il appartient à l'âme maîtresse d'elle-même - de même qu'à la fée harpiste ailée Âzâdeh- de dominer ces pulsions néfastes en les chevauchant. Mais lorsqu'elle est défaillante, ce sont les démons qui cornaquent l'éléphant et tiennent le cheval en bride. Les sources littéraires qui ont pu être identifiées, sont les poèmes perses de Ferdawsî et Nezâmî. Des paysages anthropomorphes présentent une foule de visages dans les rochers, hérités de la tradition chinoise et dont l'influence transitant par Venise se fait sentir jusque sur la peinture européenne de la Renaissance. La question de l'antériorité par rapport à Arcimboldo reste ouverte. Les contacts entre l'Est et l'Ouest étaient constants, preuve en est le tableau de Schellinks reprenant fidèlement les compositions mogholes.
6. La nature artiste
Si les premiers exemples de collecte de pierres étranges datent de Neandertal, on trouve dans de nombreuses cultures une fascination pour les formes naturelles curieuses qui semblent révéler un chiffre, l'énigmatique présence d'une intention.
Des lettrés chinois, en passant par la Renaissance, jusqu'aux surréalistes et à Roger Caillois, regardeurs, collectionneurs, artistes se sont arrêtés aux surprises merveilleuses de ces « jeux de nature ». Ouvertes aux interprétations, les visions qu'elles suscitent se superposent et varient en fonction des références. Toutefois, leur ambiguïté continue de troubler, de la pure coïncidence aux plus subtiles mystiques des matières.
7. Le double fond des cartes
L'observation des étoiles et la nécessité de les regrouper pour repérer les constellations au fil des saisons ont engendré les figures du Zodiaque. A la Renaissance, le dessin de la terre offrait une incertitude assez semblable à celle du ciel. Les incessantes reconfigurations des cartes favorisaient la propension à y reconnaître des figures familières. L'errance de l'imagination séduite et fascinée par les contours étranges des côtes et des frontières aide la mémoire à se souvenir des tracés en objectivant et personnifiant leurs contours.
7 bis. Alphabet anthropomorphe
L'impact des mots imprimés est tel que la tentation est grande de donner vie aux caractères et de les animer. Les lettrines historiées des manuscrits médiévaux comportent souvent des figures. De là à constituer un alphabet dont les lettres sont entièrement constituées de personnages, il n'y a qu'un pas que franchit le maître E.S. à une époque où l'homme s'affranchit de la tutelle divine. Il procède par accumulation et semble suggérer une narration. A la période baroque, le corps nu doit se plier avec élégance à une gymnastique qui mime la géométrie de la lettre (Mitelli).
8. Anamorphoses
L'anamorphose est la déformation réversible de l'image qui se redresse en interaction avec le spectateur, selon un angle de vue précis ou grâce à un miroir, et qui donne à l'œuvre un impact magique.
L'acte de regarder devient une expérience visuelle, un jeu d'illusion. Cette scénographie du secret abolit le point de vue unique et s'ouvre au multiperspectivisme, qui démontre la relativité de la représentation autant que de la perception.
9. Paysage visage
Le paysage anthropomorphe a pris à la Renaissance des formes extrêmement soutenues et variées, allant de l'inclusion de motifs incertains ou cachés dans les nuages, les rochers et les racines, jusqu'aux grandes têtes-paysages coïncidant avec la totalité de l'image. L'équivoque, l'effet de surprise et de découverte visent à inquiéter et à interroger le regard sur le sens allégorique ou spirituel de l'image. Si le paysage, dit autonome, suppose l'évacuation des figures, la projection de visages dans la nature semble une réponse au sentiment d'absence suscité par cette disparition.
10. Images séditieuses
Le ressort de l'image ambigüe séditieuse ou satyrique relève du double principe de surprise puis de dévoilement. Il s'agit pour l'artiste de plonger le spectateur dans le non-sens ou l'incongruité pour rétablir le sens sur un autre plan et dans un second temps. En France, la période révolutionnaire, libérant les moyens de diffusion de la production caricaturale et pamphlétaire, a vu l'image séditieuse s'étendre aux formes du commentaire politique et jouer un rôle éminent dans l'établissement des classements symboliques essentiels à l'univers politique. Elle combine aux formes volatiles de l'actualité le caractère durable du symbole, aux aspects mouvants des attitudes et des expressions la permanence d'un type figural.
11. Silhouettes et projections
La caricature et les arts graphiques sont un domaine privilégié du jeu avec l'image. Le caractère privé du dessin et la fonction ludique des images humoristiques leur valent une liberté longtemps interdite aux « grands genres ». L'abstraction de leurs moyens d'expression, souvent réduits au noir et blanc, à la ligne ou à la silhouette, exige un spectateur complice et se prête à la polysémie des images doubles. L'analogie avec le jeu de mots est évidente et les dessinateurs du xixe siècle nourrissent leur goût de la métamorphose d'un intérêt pour l'image mentale et spécialement onirique.
12. Au-dessus du gouffre
L'« impression » des impressionnistes affirme le caractère subjectif de l'œuvre d'art conçue comme « un coin de la création vue à travers un tempérament » (Zola). Mais certains membres de leur génération et de la suivante vont plus loin en revendiquant le domaine de l'imaginaire et de l'inconscient, renouant avec l'exploration romantique des « correspondances » entre mondes intérieur et extérieur. Encouragés par les sciences naturelles et la psychologie comme par la « suggestion » des musiciens et écrivains du symbolisme, ils établissent un rapport critique et ludique à la représentation qui place l'ambiguïté au cœur de l'œuvre d'art et fait du « regardeur » un partenaire actif.
13. L'art de la tache
Face à une tache, on devient conscient que percevoir signifie interpréter. Par leur indétermination, les taches se prêtent à être vues comme des images, mais des images variables et différentes selon les sujets. Dès l'Antiquité, la chance est venue en aide aux peintres par le truchement de la tache et le hasard pouvait être provoqué. L'histoire de l'art regorge ainsi de taches intentionnelles, plus ou moins retouchées par les artistes et laissant plus ou moins de latitude à la part du spectateur. Le pliage du support, grâce auquel la tache se dédouble, permet aussi de la diriger et produit des symétries qui encouragent la perception d'aspects organiques. Vue comme image, la tache fait supposer une intention, un émetteur, que l'on peut situer à l'intérieur du sujet percevant (imagination, inconscient) ou à l'extérieur (démons ou esprits).
14. Surréalisme
L'image double surréaliste, marquée du triple sceau de l'automatisme, de l'onirisme freudien et de l'érotisme, fut, dès les années 1920, l'équivalent de l'écriture automatique (Les Champs magnétiques, 1919). Les « procédés » (collage, frottage, grattage, décalcomanie) généralisent ensuite la stratégie de subversion du monde quotidien et de la pensée rationnelle qu'accompagnent la création des « objets surréalistes » et la fameuse méthode « paranoïaque-critique » de Dalí. Voir double correspond à l'« œil sauvage » évoqué par André Breton.
15. Perspectives curieuses
La perspective à point de fuite unique est devenue à ce point partie intégrante de notre relation au monde qu'elle est souvent prise pour une loi scientifique. Il est vrai qu'elle est si dominante dans notre système de perception qu'il est aisé de tromper la grille d'analyse qu'elle nous présente automatiquement avec des leurres. Les artistes de la Renaissance, qui hésitaient entre plusieurs systèmes différents de représentation de l'espace, en connaissaient bien les limites. Avant que Escher n'en livre les versions les plus élaborées et troublantes, Piranèse, de même que Hogarth, s'y étaient essayé. Hockney a plus tard repris le flambeau.
16. Salvador Dalí
Dès L'Homme invisible de 1929, Dalí s'est intéressé à la double image, qu'il théorise en 1930 dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution. Elle devient l'outil principal de sa méthode paranoïaque-critique, que Breton définit par « associations et interprétations délirantes ». Après en avoir fait l'une des formes de sa « machine à penser » (1935), le peintre en donne le mode d'emploi en 1937 à propos de Métamorphose de Narcisse : elle apparaît « si l'on regarde pendant quelque temps avec un léger recul et une certaine fixité distraite ». « L'idée obsédante » n'est pas forcément freudienne, même si Dalí était très fier d'avoir rencontré Freud en 1938, car, à ses yeux, c'est la nature entière qui s'avance masquée.
17. Double entendre
« Double entendre », en anglais, correspond au « double sens » français. Il désigne une figure de style semblable au calembour, dans laquelle une expression comporte deux sens différents. Le premier sens a en général une signification littérale, alors que le second révèle une signification cachée souvent osée ou grossière, exigeant parfois un décryptage par un code de complicité particulier.
17. 1 - Face au torse
Le torse, avec ses deux tétons, invite au dessin d'un visage, comme le fait Annette Messager. Parmi les monstres des régions reculées que décrivaient Hérodote et Pline figurent les Blemmyes, qui n'ont pas de tête et ont le visage sur le torse. On les trouve représentés dans les miniatures médiévales. C'est bien sûr au ventre du diable que la chrétienté médiévale prête ce physique grotesque et effrayant. Le monstrueux se transforme paradoxalement en séduction. Pour nous, il a été supplanté par le visage-torse plutôt séduisant et en tout cas troublant de la blonde du Viol de Magritte, qui se présente comme une parfaite créature surréaliste.
17. 2 - L'anatomie du désir
La Princesse X de Brancusi est l'aboutissement sur le plan esthétique de la conjonction du sexe et du corps féminin. La mutation du phallus en être humain remonte loin, puisqu'on la trouve incarnée dans la Vénus des Milandes. Les rites de fertilité sont nombreux dans des cultures variées à donner des allures anthropomorphes à l'organe qui déverse sa semence. Le fascinus latin, à la fois fauve et volatile, doté de clochettes, est un porte-bonheur apotropaïque si répandu qu'on en trouve le souvenir sur des insignes de pèlerins au Moyen Âge.
17. 3 - Vu du crâne
Le terme allemand d'Aussicht, que Markus Raetz utilise pour ses vues de la mer à partir d'une grotte, désigne l'intérieur du crâne à partir duquel se porte notre regard. Des tentatives pour rendre compte simultanément de la vision et du point de vue à partir duquel s'élabore la perception ont abouti à des sortes de Vanitas à l'envers, comme si les yeux du loup de Tex Avery reculaient dans le crâne et voyaient les deux orifices oculaires au premier plan. Les grottes ont fourni une intéressante métaphore pour l'appréhension très particulière d'un regard à la fois interne et externe. La thématique d'Éros et Thanatos trouve une expression privilégiée avec les couples dissimulés dans les crânes.
18. Imagerie populaire
L'imprimerie a donné une large diffusion à l'image ambiguë. Les éditeurs se sont emparés des images doubles dès la Renaissance et les ont très largement répandues : images composites arcimboldesques, paysages anthropomorphes, trois âges de la vie, etc. Ce succès populaire leur a sans doute nui, car elles sont apparues vulgaires aux yeux de l'art savant, jusqu'à leur réhabilitation par les surréalistes. Elles ont beaucoup été employées pour déjouer la pruderie bourgeoise. Les jeux d'images ambiguës ont exploité les ressources inépuisables qu'offrent l'érotisme et la sexualité. Des artistes anonymes ont rivalisé d'invention, en particulier dans les objets publicitaires et la carte postale au tournant du siècle. Ces petits chefs-d'œuvre d'humour et de malice ont fait les délices des amateurs, dont Paul Éluard fut un des collectionneurs pionniers.
19. Jeux de métamorphose
Œuvres de Alain Fleischer, Tim Noble et Sue Webster, Vincent Corpet.
20. Markus Raetz
Markus Raetz est né en 1941 près de Berne, où il vit. Il appartient à la génération d'artistes qui, des deux côtés de l'Atlantique, ont remis en cause les dogmes du modernisme et notamment l'opposition entre abstraction et figuration. Raetz est celui d'entre eux qui a exploré le phénomène de la perception et la création d'images multiples de la manière la plus rigoureuse et méthodique. Selon une démarche à la fois ludique et expérimentale, inventant continûment de nouvelles difficultés à vaincre, il a passé de la deuxième à la troisième dimension et du mouvement suggéré au mouvement effectif, dans un dialogue silencieux avec l'art du passé, la littérature et les sciences de la perception et de la cognition. Produits d'un processus d'expérimentation artisanale, ses œuvres sont des méta-images qui tirent avec malice le spectateur de sa routine perceptive pour lui faire voir double et mieux.
21. Voir double au cinéma
La double image se rattache aux trois régimes de l'image cinématographique sous la forme de la fausse reconnaissance, la coïncidence des images par surimpression et le fondu-enchaîné.
La perception peut être abusée selon deux modes, soit que l'angle de prise de vue, la perspective, en fasse une image pour tromper (Tati), soit que l'image ne se dévoile que partiellement (Dalí, Bergman).
La surimpression d'images produit d'habitude des gags visuels, mais elle peut avoir un contenu symbolique ou psychologique. La psychanalyse ouvre le champ aux surimpressions comme fruit du rêve (Hitchcock).
Le fondu-enchaîné, associé techniquement au gros plan qui permet de fondre des objets ou des formes de dimensions différentes produit un effet particulier qui atteint directement l'affect (Eisenstein).
Les commissaires
Jean-Hubert Martin
Directeur de musées et commissaire d'expositions de réputation internationale, Jean-Hubert Martin a suscité une attention toute particulière dans le monde entier, non seulement en tant qu'expert des milieux artistiques européens et américains, mais également en tant que connaisseur de l'art contemporain originaire des cinq continents. Citons la grande rétrospective Francis Picabia au Grand Palais à Paris (1976), conçue par J.-H. Martin, ainsi que les deux grandes expositions sur Man Ray (1972 et 1982) qu'il a organisées pour le Musée National d'Art Moderne de Paris. En 1988, en sa qualité de directeur du Musée National d'Art Moderne de Paris, il a pour la première fois aménagé une salle d'exposition exclusivement consacrée aux œuvres de Marcel Duchamp, au Centre Pompidou. En 2008 il a consacré une "Surexposition" aux relations amicales de Duchamp, Man Ray et Picabia.
Outre le mouvement dada, J.-H. Martin s'est aussi particulièrement consacré à l'art russe. En 1978, il a organisé au Centre Pompidou l'exposition Casimir Malevitch, et a publié ses Architectones, encore peu étudiés à l'époque. En 1985-86 il a organisé, à la Kunsthalle de Berne puis à Düsseldorf, Marseille et Paris, la première exposition individuelle en Europe de l'ouest pour Ilya Kabakov qui, dans les années quatre-vingts, appartenait encore à l'underground de Moscou. Il est membre du jury du Prix Kandinsky et prépare la Biennale de Moscou pour septembre 2009.
Jean-Hubert Martin a été l'un des premiers conservateurs à montrer des œuvres d'art venues du monde entier lors d'expositions comme "Magiciens de la terre" (1989), et il a exposé pour la première fois des œuvres d'artistes encore inconnus tels que Frédéric Bruly Bouabré, Bodys Isek Kingelez et Huang Yong Ping. Il a ainsi ouvert un débat passionné sur la signification de l'art non occidental et la valeur qui lui est accordée ; ce débat n'est pas clos. Son travail pour les biennales de Sydney (1982 et 1993), Johannesburg (1995) et Sao Paolo (1996) reste fidèle à ce thème central. L'exposition "Rencontres Africaines"; organisée en 1994 à l'Institut du Monde Arabe à Paris, a témoigné avec force des nouvelles visions sur l'art africain contemporain. En 2004 il initie l'exposition "Africa Remix", premier panorama de l'art africain contemporain.
Lorsqu'il était directeur du Musée National des Arts d'Afrique et d'Océanie, à Paris, J.-H. Martin a placé la contextualisation personnelle des artistes sur le devant de la scène. Dans le cadre de la "Galerie des Cinq Continents", une série d'expositions conçue spécialement pour le musée, les artistes ont présenté, parallèlement à leurs propres œuvres, des objets représentatifs de leurs cultures, de l'histoire de leurs pays et du contexte de leurs origines.
J.-H. Martin a exploité l'idée du cabinet de curiosités lorsqu'il a pris la direction du Château d'Oiron. Sans modifier le décor historique de ce château de la Loire il a chargé plus de soixante-dix artistes de transformer les salles en un cabinet de curiosités in situ, créant une symbiose entre les œuvres d'art contemporaines et l'architecture historique. Il s'est efforcé de montrer l'art dans un contexte de dialogue et d'associations échappant aux catégories chronologiques et techniques, d'abord avec la présentation de la collection au Museum Kunst Palast en 2000, puis avec "Artempo" au Museo Fortuny à Venise en 2007. J.-H. Martin a franchi une étape supplémentaire lors de la biennale de Lyon ("Partage d'exotismes", 2000). Il a articulé cette manifestation autour de questions anthropologiques qui étendaient le terme d'exotisme au monde occidental et retournaient ainsi la façon de voir les choses : le regard de l'Occident n'est plus seul point de référence, il est complété par la vision que le reste du monde a de l'Occident.
L'exposition "Altäre - Kunst zum Niederknien" (autels - l'art de s'agenouiller) qu'il a organisée en 2000 en sa qualité de directeur général du museum kunst palast de Düsseldorf posait la question de la richesse de l'art religieux dans le monde aujourd'hui et du mépris néo-colonial que lui voue l'Occident.
Dario Gamboni
Dario Gamboni est né en 1954 à Yverdon (Suisse). Après des études à l'université de Lausanne et à l'EHESS il défend sa thèse La plume et le pinceau. Odilon Redon et les rapports entre art et littérature en 1989. Il est depuis 2004 professeur d'histoire de l'art et de l'architecture de la période contemporaine à l'Université de Genève, auparavant il a enseigné à l'Université Lumière Lyon II de 1991 à 1997, à la Case Western Reserve University de Cleveland, Ohio entre 1998 et 2000 et à l'Université d'Amsterdam entre 2001 et 2004.
Dario Gamboni fut membre de l'Institut Universitaire de France entre 1993 et 1998 et Ailsa Mellon Bruce Senior Fellow au Center for Advanced Study in the Visual Arts (CASVA), National Gallery of Art, Washington en 1996. Il a obtenu le prix Meret Oppenheim de la Confédération suisse en 2006 et sera Paul Mellon Visiting Senior Fellow au CASVA en 2009.
Juliette Récamier
vendredi 24 avril 2009
Maurice Utrillo
Au tournant du siècle à Montmartre. De l'impressionnisme à l'École de Paris.
La Pinacothèque de Paris programme une importante exposition des œuvres de Suzanne Valadon et de Maurice Utrillo. Cette exposition se tiendra du 6 mars au 15 septembre 2009 et présentera une cinquantaine d’œuvres de chacun des deux artistes.
L’histoire de Suzanne Valadon et de Maurice Utrillo est celle du tournant du siècle à Montmartre.
jeudi 23 avril 2009
Eve by Marco de Rivera
Ce prénom est un dérivé du prénom hébraïque H'wwah.
Sa couleur bleu
Sa pierre précieuse Saphir
Son caractère: Eve est de nature plutôt indépendante. Elle est volontaire et active. Désireuse de faire bouger les choses, elle aura une tendance à la domination qui pourrait quelquefois lui porter préjudice.
Dans L' HistoireLe le prénom ancien H'wwah serait inspiré du terme hébreu hayyah qui signifie "vivre".
Saint patron Sainte Eve fut une vierge et une martyre. On l'honore le 6 septembre.
mercredi 22 avril 2009
Le désir...
Le désir de connaître mais aussi la troublante expérience de l'embarras et du tâtonnement confèrent à la réflexion philosophique sa dimension érotique. Pour les mêmes raisons, l'amour est philosophie : l'amoureux s'arrache à son propre point de vue pour porter sur lui-même et le monde le regard d'autrui, subit l'épreuve du doute après l'enthousiasme et nourrit sa réflexion d'incertitudes. Il ne sait plus ce qu'il sait, cherche ses mots, ne sait comment définir l'être aimé et craint d'être sot. Cette hésitation essentielle l'affranchit de la présomption et de l'idiotie. L'idiot, en effet, ne connaît pas l'amour et ses dérèglements : il est partout chez lui, jamais troublé ni dérangé par personne.
Didier Eribon analyse le rapport à l’amour et à l’amitié
A l’occasion d’une relecture des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, Didier Eribon analyse le rapport à l’amour et à l’amitié.
Didier Eribon fut frappé par le geste politique et théorique qui sous-tend cette mise en scène du sentiment amoureux : une volonté de résister au freudo-marxisme qui régnait dans les milieux de la gauche intellectuelle de l’aprèsmai 1968, mais plus généralement, d’échapper à l’emprise de la psychanalyse. Ne trouve t-on pas un projet rigoureusement identique chez Foucault lorsqu’il publie, à peu près au même moment, le premier volume de son Histoire de la sexualité ?
L’amour chez l’un, le « corps et les plaisirs » chez l’autre, l’amitié chez les deux, deviennent les vecteurs d’une réflexion sur les possibilités de s’inventer soi-même et sur les moyens de fonder une éthique et une politique de la subjectivation, débarassées de la conceptualité analytique et du rôle de frein à l’innovation que celle-ci ne cesse de jouer.
A un moment où, dans le sillage de la théorie queer, la pensée radicale se tourne à nouveau vers la psychanalyse, Didier Eribon se propose ici, dans ce texte bref qui pourrait avoir valeur de manifeste, de réactiver au contraire le mouvement de fuite à l’égard de cette dernière qui a caractérisé la philosophie subversive des années 1970.
mardi 21 avril 2009
ALEXANDRE VASSILIEV
lundi 20 avril 2009
Françoise Auguet / Univers de Paul et Denise Poiret 1905-1928
Le catalogue "La Création en Liberté, Univers de Paul et Denise Poiret 1905-1928" publié par l'étude Piasa, sous l'expertise de Françoise Auguet , est une merveille qui allie photographies de qualité et descriptifs indispensables à une bonne compréhension de cette époque charnière de la mode. Plus de cinq cents pièces y sont présentées en détail. Son introduction, écrite par l'historienne de la mode Jéromine Savignon
Paul Cocksedge for Flos
dimanche 19 avril 2009
Salle Richelieu
samedi 18 avril 2009
vendredi 17 avril 2009
jeudi 16 avril 2009
Proust
La construction poétique de la Recherche du Temps perdu de Marcel Proust
Pour ceux qui souhaitent comprendre les mécanismes de construction de la beauté poétique, beauté qui ne peut être le fruit du hasard, nous nous proposons d’en exposer un ici, en choisissant l’oeuvre d’un monstre : Marcel Proust.
D’où vient la beauté de la Recherche ? Comment son auteur a-t-il construit techniquement son écriture afin de rendre à la fois physique la joie exprimée par le sens poétique de certains passages de son texte, et d’en préserver en même temps le mystère ?
Un passage décrivant le style de Bergotte au sein même de l’œuvre, nous le dit :
A un point de vue plus accessoire, la façon spéciale, un peu trop minutieuse et intense, qu’il avait de prononcer certains mots, certains adjectifs qui revenaient souvent dans sa conversation et qu’il ne disait pas sans une certaine emphase, faisant ressortir toutes leurs syllabes et chanter la dernière (comme pour le mot "visage" qu’il substituait toujours au mot "figure" et à qui il ajoutait un grand nombre de v, d’ s, de g, qui semblaient tous exploser de sa main ouverte à ces moments), correspondait exactement à la belle place où dans sa prose il mettait ces mots aimés en lumière, précédés d’une sorte de marge et composés de telle façon dans le nombre total de la phrase, qu’on était obligé, sous peine de faire une faute de mesure, d’y faire compter toute leur "quantité". (c’est nous qui soulignons)
À la lumière de ce passage, Bergotte travaille donc les syllabes et les consonnes pour obtenir ses effets. Proust fait-il de même ? Appliquons directement son propos sur ses propres textes, les plus forts, ceux où la sensation est la plus extraordinaire et attachons-nous à écouter les sons comme s’il s’agissait d’un poème.
Les carafes dans la Vivonne
Je m’amusais à regarder les carafes que les gamins mettaient dans la Vivonne pour prendre les petits poissons, et qui, remplies par la rivière, où elles sont à leur tour encloses, à la fois "contenant" aux flancs transparents comme une eau durcie, et "contenu" plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant, évoquaient l’image de la fraîcheur d’une façon plus délicieuse et plus irritante qu’elles n’eussent fait sur une table servie, en ne la montrant qu’en fuite dans cette allitération perpétuelle entre l’eau sans consistance où les mains ne pouvaient la capter et le verre sans fluidité où le palais ne pourrait en jouir.
Isolons un extrait de ce morceau de bravoure de Marcel Proust :
à la fois "contenant" aux flancs transparents comme une eau durcie, et "contenu" plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant,
Observons la première partie de cette phrase.
/à la fois "contenant" /aux flancs/ transparents/ comme une eau durcie/
Chaque mot, sauf le dernier, se termine par une syllabe commune en "-an" /ã/ et donc rime comme s’il s’agissait d’un poème.
Mais il manque quelque chose car la dernière syllabe "eau durcie (1) " ne rime pas. Elle crée une surprise sonore en finissant en /i/ (durcie). Nous attendons donc un mot rimant avec le reste et c’est son absence qui engendre la sensation "délicieuse et irritante" du mot que l’on a sur le bout de la langue.
Proust a donc bien, comme Bergotte, fait "ressortir toutes leurs syllabes et chanter la dernière"
Mais ce mot manquant devant se finir en "-an" et remplacé par "durcie" dans "eau durcie", quel est-il ?
Il doit être très fréquent pour que nous puissions tous songer au même. Après "eau" c’est bien évidemment "courante", expression très populaire de notre langue, qui surgit. C’est un lieu commun verbal. Le délice de la sensation vient de ce qu’à la fois nous pensons à "eau courante" parce que la suite de syllabes rimant en "-an" nous y force, et qu’en même temps, Proust nous oblige à lire "eau durcie".
Le travail de Proust est donc de réaliser un "à peu-près" de langage afin de nous donner physiquement la sensation "délicieuse et irritante" du mot que l’on a sur le bout de la langue. Cette approximation de la rime n’est pas un défaut d’écrivain essayant de faire des vers sans y arriver : C’est le fondement même de son esthétique. Car c’est elle qui, par l’offrande non comblée de ce mot en suspens, fait naître le désir.
Et c’est ici que le sens rejoint le son de l’écriture, car l’adjectif "courante" s’applique très bien à la rivière. L’écrivain a donc magnifiquement mélangé les carafes à la rivière, par le son, comme le texte nous le raconte par le sens en s’appuyant sur l’expression métonymique classique, disons même générique " boire un verre".
La portion de phrase suivante :
"contenu" plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant,
De la même manière et même si c’est moins net que dans l’exemple précédent, nous pensons que "cristal liquide et courant" remplace le mot absent "cristallisé" qui rimerait alors avec "plongé".
"contenu" plongé/ dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant,
Le terme "cristallisé" convient parfaitement aux carafes dont les parois transparentes ressemblent à de l’eau cristallisée. Observez maintenant la très stricte correspondance des quatre termes que nous venons de découvrir :
eau courante <> cristal liquide et courant
cristallisé <> eau durcie
- Horizontalement, les termes s’associent par leur sens et par leur rime : l’eau durcie est comme cristallisée, l’eau courante est comme un cristal liquide et courant. La rime entre "durcie" et "cristallisé" est évidemment approximative - Proust n’a pas fait un poème ( c’est un à-peu-près) mais elle est réelle "cie" et "sé" sont tous deux très brefs et phonétiquement proches .
- Verticalement, les termes s’opposent par leur sens et leur rime : l’eau courante n’est pas cristallisée, l’eau durcie n’est pas liquide et courante.
- En diagonal, les termes se lient par leurs remplaçants : "eau durcie" (écrit dans le texte) remplace "eau courante" (suggéré par la rime), "cristal liquide et courant" (écrit dans le texte) remplace "cristallisé" (suggéré par la rime).
Si Marcel Proust a bien construit son texte comme nous venons de le décrire nous devrions retrouver dans d’autres endroits les mêmes effets. C’est ce que nous allons démontrer maintenant en étudiant le texte le plus brillant de la Recherche :
La couleur orangée du nom de Guermantes.
Jamais dans la promenade du côté de Guermantes nous ne pûmes remonter jusqu’aux sources de la Vivonne, auxquelles j’avais souvent pensé et qui avaient pour moi une existence si abstraite, si idéale, que j’avais été aussi surpris quand on m’avait dit qu’elles se trouvaient dans le département, à une certaine distance kilométrique de Combray, que le jour où j’avais appris qu’il y avait un autre point précis de la terre où s’ouvrait, dans l’antiquité, l’entrée des Enfers. Jamais non plus nous ne pûmes pousser jusqu’au terme que j’eusse tant souhaité d’atteindre, jusqu’à Guermantes. Je savais que là résidaient des châtelains, le duc et la duchesse de Guermantes, je savais qu’ils étaient des personnages réels et actuellement existants, mais chaque fois que je pensais à eux, je me les représentais tantôt en tapisserie, comme était la comtesse de Guermantes, dans le « Couronnement d’Esther » de notre église, tantôt de nuances changeantes comme était Gilbert le Mauvais dans le vitrail où il passait du vert chou au bleu prune selon que j’étais encore à prendre de l’eau bénite ou que j’arrivais à nos chaises, tantôt tout à fait impalpables comme l’image de Geneviève de Brabant, ancêtre de la famille de Guermantes, que la lanterne magique promenait sur les rideaux de ma chambre ou faisait monter au plafond,-enfin toujours enveloppés du mystère des temps mérovingiens et baignant comme dans un coucher de soleil dans la lumière orangée qui émane de cette syllabe : « antes ».
La question est la même que dans le paragraphe des carafes dans la Vivonne : Comment faire ressentir physiquement au lecteur la " lumière orangée qui émane de cette syllabe : « antes »" du mot Guermantes ?
Reprenons notre façon de procéder : intéressons-nous aux syllabes finales de ce texte comme s’il était un poème et observons leur rime "approximative" c’est à dire non pas par leur répétition en tant que telle, mais par leur caractéristique tel que leur longueur de son, leur consonne gutturale, plutôt chuintante, etc. bref par leur caractère.
Y a-t-il ici aussi un "mot remplacé" par un autre et qui va nous plonger dans la même sensation "délicieuse et irritante" du mot que l’on a sur le bout de la langue ?
Commençons donc par la fin : L’expression "syllabe : « antes »" ne fait penser à rien par quoi l’on pourrait la remplacer. Mais si l’on regarde la phrase qui l’introduit plus haut nous trouvons :
-enfin toujours enveloppés du mystère/ des temps mérovingiens/ et baignant comme dans un coucher de soleil/ dans la lumière orangée qui émane de cette syllabe : « antes ».
Associons les mots rimant ensemble :
mystère <> lumière
mérovingien <> orangée
soleil < ? > syllabe : « antes »
Nous sommes ici au cœur du réacteur de la poétique proustienne : Notre court tableau montre bien que "soleil" devrait rimer avec "syllabe : « antes ».", comme le fait "mystère" avec "lumière", et "mérovingien" avec "orangée". Comme vu plus haut entre les mots "eau durcie" et "eau courante" du texte des carafes dans la Vivonne, l’expression "syllabe : « antes »" doit donc remplacer un autre mot finissant en /-eil/ comme "soleil" et commençant par "syllabe". Il serait parfait qu’il évoque aussi fortement la couleur orange. Enoncer en ces termes la question est la résoudre : Le mot recherché est "abeille" (syll-abeille ). Le mot "soleil" appelle à une rime finale en "eille". Le mot "syllabe" démarre le mot "abeille" (syll-ab-eille). À lui seul évidemment, "syllabe" ne donne pas envie de se terminer en "abeille", mais c’est parce qu’il suit de près le mot "soleil", et parce que depuis le début du paragraphe, l’alternance de rimes entre les mots produit "un flot caché d’harmonie, un prélude intérieur,"... "faisant ressortir toutes leurs syllabes et chanter la dernière" que nous cherchons sans le vouloir, ou plutôt, que nous voulons sans le savoir, faire rimer les mots entre eux comme le texte nous y invite, plus précisément, nous y oblige.
Remarquez l’éclatante couleur orange de l’abeille ! Observez aussi son caractère éminemment héraldique puisque son emblème est indiscutablement lié à la royauté française. C’est bien elle en effet qui colore en orangé le nom de "Guermantes" et non la syllabe du mot lui-même (2). Nous sommes donc bien encore une fois devant la même technique de remplacement d’un mot manquant par un autre qui va produire, par un procédé ORAL, l’incroyable surgissement VISUEL de la couleur orange.
D’autres textes
Pour ceux qui douteraient encore, voici d’autres exemples de "rime cachée avec une expression consacrée populaire et non-dite" :
Parmi les chambres dont j’évoquais le plus souvent l’image dans mes nuits d’insomnie, aucune ne ressemblait moins aux chambres de Combray, saupoudrées d’une atmosphère grenue, pollinisée, comestible et dévote, que celle du Grand-Hôtel de la Plage, à Balbec, dont les murs passés au ripolin contenaient comme les parois polies d’une piscine où l’eau bleuit, un air pur, azuré et salin.
"un air pur, azuré et salin." À l’oreille, le mot inhabituel "salin" dénote un peu par rapport aux deux autres adjectifs " pur" et "azuré". Il ne semble pas à sa place mais nous n’en sommes plus étonnés : C’est le dernier de la phrase ! Il doit cacher autre chose.
"pur" et "azuré" se terminant tous deux par une syllabe incluant la consonne /r/. Consonne /r/ que nous ne retrouvons pas dans "salin". Celui-ci remplace donc un autre mot qui assurerait la rime de l’ensemble. Ce mot en filigrane, quel est-il ? En cherchant nous trouvons aisément le mot qui ressemble à "salin" mais qui contient lui un /r/, c’est "marin". Nous retrouvons une expression familière sous-entendue dans la mémoire du lecteur : "un air marin". ( remplacé ici par "un air salin"). L’air marin, n’est-ce pas précisément ce que doit ressentir le narrateur à Balbec, dans une des chambres du Grand-Hôtel de la Plage ?
Et voici, pour le plaisir, un dernier exemple pris directement dans la célébrissime description des nourritures entendues et décrites par Albertine :
La glace a beau ne pas être grande, qu’une demi-glace si vous voulez, ces glaces au citron-là sont tout de même des montagnes réduites à une échelle toute petite, mais l’imagination rétablit les proportions, comme pour ces petits arbres japonais nains qu’on sent très bien être tout de même des cèdres, des chênes, des mancenilliers ; si bien qu’en en plaçant quelques-uns le long d’une petite rigole, dans ma chambre, j’aurais une immense forêt descendant vers un fleuve et où les petits enfants se perdraient.
Un détail attire notre attention. L’expression "...qu’on sent très bien être ..." surprend. La langue achoppe entre "bien" et "être", comme s’il manquait une liaison (bien qu’il n’en faille pas). Et celle-ci manque en effet si on considère le mot correspondant dont on a l’habitude : "bien-être" (bien-n-être) mot usuel qui possède bien lui l’habituelle liaison entre une consonne et une voyelle qui lui succède.
Puis la phrase se poursuit (des cèdres, des chênes, des mancenilliers). Et nous retrouvons le "n" manquant qui réapparaît ça et là, saute d’une syllabe finale à une intermédiaire et revient nous hanter en jouant avec sa consonne opposée le "c" /s/ mais surtout avec notre langue pour nous torturer délicieusement.
Une fois encore, le mot populaire "caché" par Proust est dans un rapport très étroit avec le sens du propos. Le bien-être, n’est-ce pas la sensation principale d’Albertine au moment où elle raconte son histoire ( et nous fait grincer des dents au moment même où elle prononce ce mot, à nous comme au narrateur écrasé de jalousie à cet instant ) ?
Il nous reste maintenant à vous inviter à poursuivre et découvrir ces trésors magnifiquement semés par Marcel Proust le long de son oeuvre, parce que trouvés par vous-même ils n’en sont que meilleurs.
David Orbach
Coste-Orbach architectes
(1) Originellement Proust a trouvé l’idée d’associer la carafe à de l’"eau durcie" chez Emile Mâle dans son livre l’art religieux du XIII ème siècle en France ( p 169 collection Le livre de poche) et qui citait lui-même Anselme de Laon disant "le cristal est de l’eau durcie". (2) Nous confirmons donc ici qu’il n’y a aucun lien entre le son de "Guermantes" et la lumière "orange" puisque, comme cela a été déjà remarqué par Jean Milly in La phrase de Proust (p 75), le mot "Guermantes" qui contient la voyelle /α/ peut faire autant penser à la couleur blanche qu’à l’orange ou même l’amarante.
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