samedi 25 avril 2009

Médium...Une image peut en cacher une autre Arcimboldo, Dali, Raetz


Fascinés par les phénomènes optiques et curieux d'explorer leur médium, les artistes sont à l'origine d'une longue histoire où ils jouent aussi bien avec l'image qu'avec le spectateur. Trouvant un support à l'imagination dans des formes naturelles ou accidentelles, ils ont fait de même avec leurs propres créations. Ils suggèrent des aspects implicites ou cachés et multiplient les manières de voir et d'interpréter leurs œuvres. Ils ont ainsi exploité l'ambiguïté visuelle et produit des images doubles dans un esprit ludique, pour introduire des niveaux de signification accessibles aux initiés, et pour réfléchir à la perception, la représentation et l'invention visuelles. Tout le monde connaît Arcimboldo et ses portraits composites, dont certains sont aussi réversibles, et le maître moderne de l'image ambiguë qu'est Dalí. Mais beaucoup d'autres images multiples ne sont connues que de peu et on s'est longtemps méfié du caractère subjectif de leur reconnaissance, préférant les attribuer au hasard. C'est pourquoi les commissaires de l'exposition ont pris le parti de ne montrer que des œuvres qui peuvent faire l'objet d'un consensus et dans lesquelles on a de bonnes raisons de penser que l'ambiguïté a été consciemment voulue par l'artiste. A l'issue d'une sélection rigoureuse, ils ont retenu quelques 250 objets - peintures, dessins et gravures, mais aussi sculptures et films - de provenances très diverses et qui s'éclairent les uns les autres. Ils composent une autre histoire de l'art, de la préhistoire au temps présent, tout en mettant en évidence des thèmes et motifs récurrents comme le paysage anthropomorphe, l'analogie entre visage et torse, l'ambiguïté sexuelle, l'illusion spatiale ou encore l'interprétation de taches comme dans le test de Rorschach.

Une place particulière revient à Dalí, qui a consacré son œuvre à la création d'« images à figurations multiples » proposant des scénarios divers, aussi énigmatiques qu'imprévisibles. C'est d'ailleurs sous le signe d'une toile fameuse de l'artiste, L'Enigme sans fin (1938), qu'une première mouture de l'exposition fut présentée en 2003 au Museum Kunst Palast de Düsseldorf. L'exposition parisienne reprend le même concept mais en donne une version entièrement renouvelée et considérablement enrichie. Elle réunit autour des toiles du maître catalan des œuvres provenant d'époques et de sphères culturelles diverses qui incluent tous les continents. Leurs sujets incluent la figure humaine, illustrée par les images des Saisons d'Arcimboldo, le paysage qui va de la Renaissance à Max Ernst, ou l'architecture avec les perspectives impossibles d'Escher ; mais ils mettent aussi en cause la séparation des genres et des règnes et rapprochent ou mêlent le monde des humains, celui des objets et la nature tout entière. Ils combinent aussi souvent l'image et le langage, conformément à la parenté entre l'image multiple et le jeu de mots. L'art contemporain est particulièrement riche de ce point de vue et apporte des techniques et des formes nouvelles d'ambiguïté visuelle, dont les extraordinaires anamorphoses tridimensionnelles du suisse Markus Raetz. De Michel-Ange à Raetz en passant par les miniatures persanes ou les cartes postales érotiques du tournant de 1900, l'exposition retrace le panorama riche et étrange d'une pratique aussi singulière qu'elle est répandue. Elle porte notre attention sur la diversité des chemins empruntés par les artistes jouant avec la perception visuelle et met l'accent sur la complexité et la permanence de ce principe de création. Les images doubles et multiples ont souvent été considérées comme douteuses ou marginales. L'exposition montre qu'il n'en est rien et qu'en interrogeant la perception, images cachées et sens multiples peuplent les plus grandes œuvres d'art. Elle entend promouvoir le dialogue que ces œuvres recherchent avec un spectateur actif. Véritable événement, cette exposition est une occasion inédite de revisiter l'œuvre de nombreux artistes et d'en découvrir les dessous les plus inattendus.





L'exposition salle par salle

scénographie : Véronique Dollfus





1.Mythes d‘origine

Cette exposition rassemble des œuvres dont certaines formes visuellement ambiguës peuvent être interprétées de plusieurs façons différentes. Salvador Dalí qui en a fait grand usage, les a appelées « doubles images ». Leur caractère ludique leur a valu une large diffusion populaire à travers la gravure, en particulier au XIXème siècle. Les images-devinettes d'Epinal et les « Vexierbilder » allemands propagent deux clichés promus à un grand succès : la jeune fille et sa grand mère et le canard-lapin, dont de nombreux artistes se sont inspirés. Le phénomène de la ligne délimitant deux formes perçues alternativement selon un jeu de négatif-positif est identifié sous le nom de vase de Rubin, mais était connu bien avant cette publication. Le vide créé par le contour d'un objet, aussi bien que son ombre, peuvent révéler une image inattendue. Les doubles images peuvent naître de l'ingéniosité du trait de crayon, mais elles peuvent aussi surgir dans la nature : rochers et troncs d'arbre fournissent maints exemples de suggestions figuratives. La sexualité, autant que les tabous religieux et politiques, a servi de ressort à la création d'ouvrages ambigus dans des cultures et à des époques très variées.


2. Imitation et imagination

Les témoignages variés sur l'image double à la Renaissance révèlent le rôle central des notions de mimésis et de fantasia dans la conception nouvelle de l'art qui s'élabore, affirmant la maîtrise des apparences, l'individualité et l'invention de l'artiste (Dürer). Les rochers prenant l'apparence d'un visage se multiplient dans la peinture religieuse et représentent la face minérale, sauvage et stérile de l'ancien monde supplanté par l'avènement du christianisme. La représentation de la terre comme un organisme vivant assimilé au corps humain était par ailleurs répandue dans la littérature. La nature environnante, végétation ou rocher, reprend souvent comme en écho les formes les plus signifiantes des figures principales.



3. Aveuglement et discernement
La prétention des images à participer à un processus d'élévation du regard corporel vers la contemplation spirituelle, est l'une des questions fondamentales de l'art chrétien. C'est à cette vision tendue entre aveuglement charnel et discernement spirituel et aux énigmes des Écritures, qu'il faut rapporter les nombreux exemples d'images doubles dans la peinture religieuse de la Renaissance. Herri met de Bles avait la réputation de cacher sa signature emblématique, une minuscule chouette, dans chacun de ses tableaux, ainsi placés sous le signe du discernement et de l'apparence trompeuse. Les figures anthropomorphes dissimulées dans les formations rocheuses et la végétation, et les protagonistes qui exemplifient des états de vision variés - clairvoyance, songe, aveuglement, illusion des apparences - sont les composantes structurelles d'une rhétorique picturale de transformation de la vision et d'appel au discernement à laquelle ces paysages sont voués. « Que ceux qui ont des yeux voient ! ».



4. Images composites et visions allégoriques
Le peintre milanais Giuseppe Arcimboldo passe vingt cinq années à la cour des Habsbourg, au service de trois empereurs successifs. Il crée pour leur cabinet de curiosités, mêlant artificialia et naturalia (ouvrages de l'homme et de la nature), des portraits composites où le visible interfère avec l'aspect caché des choses. Ce sont des assemblages d'êtres et d'objets réels minutieusement identifiés et reproduits, correspondant à un inventaire en cours des espèces. Deux principes de lecture et deux temporalités sont réunis : l'une produit la vision immédiate d'un portrait, l'autre suppose le déchiffrement d'une multitude d'objets hétérogènes par un spectateur actif. Le processus s'inverse dans les images réversibles. L'inexistant de l'imaginaire est produit avec l'existant. Les quatre saisons symbolisent les quatre âges de l'homme, ainsi que les quatre tempéraments : sanguin, colérique, mélancolique et flegmatique. Elles témoignent en outre de la domination du souverain sur la permanence du rythme des saisons et des récoltes.



5. Miniatures Mogholes
Les miniatures mogholes composites fonctionnent selon le même principe que les portraits d'Arcimboldo. Elles sont issues d'ateliers perses et indiens aux XVIe et XVIIe siècles. Les chevaux, dromadaires ou éléphants sont faits d'une multitude d'animaux sauvages, de combats et de scènes galantes représentant les passions et le désordre. Il appartient à l'âme maîtresse d'elle-même - de même qu'à la fée harpiste ailée Âzâdeh- de dominer ces pulsions néfastes en les chevauchant. Mais lorsqu'elle est défaillante, ce sont les démons qui cornaquent l'éléphant et tiennent le cheval en bride. Les sources littéraires qui ont pu être identifiées, sont les poèmes perses de Ferdawsî et Nezâmî. Des paysages anthropomorphes présentent une foule de visages dans les rochers, hérités de la tradition chinoise et dont l'influence transitant par Venise se fait sentir jusque sur la peinture européenne de la Renaissance. La question de l'antériorité par rapport à Arcimboldo reste ouverte. Les contacts entre l'Est et l'Ouest étaient constants, preuve en est le tableau de Schellinks reprenant fidèlement les compositions mogholes.



6. La nature artiste
Si les premiers exemples de collecte de pierres étranges datent de Neandertal, on trouve dans de nombreuses cultures une fascination pour les formes naturelles curieuses qui semblent révéler un chiffre, l'énigmatique présence d'une intention.
Des lettrés chinois, en passant par la Renaissance, jusqu'aux surréalistes et à Roger Caillois, regardeurs, collectionneurs, artistes se sont arrêtés aux surprises merveilleuses de ces « jeux de nature ». Ouvertes aux interprétations, les visions qu'elles suscitent se superposent et varient en fonction des références. Toutefois, leur ambiguïté continue de troubler, de la pure coïncidence aux plus subtiles mystiques des matières.





7. Le double fond des cartes
L'observation des étoiles et la nécessité de les regrouper pour repérer les constellations au fil des saisons ont engendré les figures du Zodiaque. A la Renaissance, le dessin de la terre offrait une incertitude assez semblable à celle du ciel. Les incessantes reconfigurations des cartes favorisaient la propension à y reconnaître des figures familières. L'errance de l'imagination séduite et fascinée par les contours étranges des côtes et des frontières aide la mémoire à se souvenir des tracés en objectivant et personnifiant leurs contours.



7 bis. Alphabet anthropomorphe
L'impact des mots imprimés est tel que la tentation est grande de donner vie aux caractères et de les animer. Les lettrines historiées des manuscrits médiévaux comportent souvent des figures. De là à constituer un alphabet dont les lettres sont entièrement constituées de personnages, il n'y a qu'un pas que franchit le maître E.S. à une époque où l'homme s'affranchit de la tutelle divine. Il procède par accumulation et semble suggérer une narration. A la période baroque, le corps nu doit se plier avec élégance à une gymnastique qui mime la géométrie de la lettre (Mitelli).



8. Anamorphoses
L'anamorphose est la déformation réversible de l'image qui se redresse en interaction avec le spectateur, selon un angle de vue précis ou grâce à un miroir, et qui donne à l'œuvre un impact magique.
L'acte de regarder devient une expérience visuelle, un jeu d'illusion. Cette scénographie du secret abolit le point de vue unique et s'ouvre au multiperspectivisme, qui démontre la relativité de la représentation autant que de la perception.




9. Paysage visage
Le paysage anthropomorphe a pris à la Renaissance des formes extrêmement soutenues et variées, allant de l'inclusion de motifs incertains ou cachés dans les nuages, les rochers et les racines, jusqu'aux grandes têtes-paysages coïncidant avec la totalité de l'image. L'équivoque, l'effet de surprise et de découverte visent à inquiéter et à interroger le regard sur le sens allégorique ou spirituel de l'image. Si le paysage, dit autonome, suppose l'évacuation des figures, la projection de visages dans la nature semble une réponse au sentiment d'absence suscité par cette disparition.




10. Images séditieuses
Le ressort de l'image ambigüe séditieuse ou satyrique relève du double principe de surprise puis de dévoilement. Il s'agit pour l'artiste de plonger le spectateur dans le non-sens ou l'incongruité pour rétablir le sens sur un autre plan et dans un second temps. En France, la période révolutionnaire, libérant les moyens de diffusion de la production caricaturale et pamphlétaire, a vu l'image séditieuse s'étendre aux formes du commentaire politique et jouer un rôle éminent dans l'établissement des classements symboliques essentiels à l'univers politique. Elle combine aux formes volatiles de l'actualité le caractère durable du symbole, aux aspects mouvants des attitudes et des expressions la permanence d'un type figural.





11. Silhouettes et projections
La caricature et les arts graphiques sont un domaine privilégié du jeu avec l'image. Le caractère privé du dessin et la fonction ludique des images humoristiques leur valent une liberté longtemps interdite aux « grands genres ». L'abstraction de leurs moyens d'expression, souvent réduits au noir et blanc, à la ligne ou à la silhouette, exige un spectateur complice et se prête à la polysémie des images doubles. L'analogie avec le jeu de mots est évidente et les dessinateurs du xixe siècle nourrissent leur goût de la métamorphose d'un intérêt pour l'image mentale et spécialement onirique.





12. Au-dessus du gouffre
L'« impression » des impressionnistes affirme le caractère subjectif de l'œuvre d'art conçue comme « un coin de la création vue à travers un tempérament » (Zola). Mais certains membres de leur génération et de la suivante vont plus loin en revendiquant le domaine de l'imaginaire et de l'inconscient, renouant avec l'exploration romantique des « correspondances » entre mondes intérieur et extérieur. Encouragés par les sciences naturelles et la psychologie comme par la « suggestion » des musiciens et écrivains du symbolisme, ils établissent un rapport critique et ludique à la représentation qui place l'ambiguïté au cœur de l'œuvre d'art et fait du « regardeur » un partenaire actif.





13. L'art de la tache
Face à une tache, on devient conscient que percevoir signifie interpréter. Par leur indétermination, les taches se prêtent à être vues comme des images, mais des images variables et différentes selon les sujets. Dès l'Antiquité, la chance est venue en aide aux peintres par le truchement de la tache et le hasard pouvait être provoqué. L'histoire de l'art regorge ainsi de taches intentionnelles, plus ou moins retouchées par les artistes et laissant plus ou moins de latitude à la part du spectateur. Le pliage du support, grâce auquel la tache se dédouble, permet aussi de la diriger et produit des symétries qui encouragent la perception d'aspects organiques. Vue comme image, la tache fait supposer une intention, un émetteur, que l'on peut situer à l'intérieur du sujet percevant (imagination, inconscient) ou à l'extérieur (démons ou esprits).





14. Surréalisme
L'image double surréaliste, marquée du triple sceau de l'automatisme, de l'onirisme freudien et de l'érotisme, fut, dès les années 1920, l'équivalent de l'écriture automatique (Les Champs magnétiques, 1919). Les « procédés » (collage, frottage, grattage, décalcomanie) généralisent ensuite la stratégie de subversion du monde quotidien et de la pensée rationnelle qu'accompagnent la création des « objets surréalistes » et la fameuse méthode « paranoïaque-critique » de Dalí. Voir double correspond à l'« œil sauvage » évoqué par André Breton.





15. Perspectives curieuses
La perspective à point de fuite unique est devenue à ce point partie intégrante de notre relation au monde qu'elle est souvent prise pour une loi scientifique. Il est vrai qu'elle est si dominante dans notre système de perception qu'il est aisé de tromper la grille d'analyse qu'elle nous présente automatiquement avec des leurres. Les artistes de la Renaissance, qui hésitaient entre plusieurs systèmes différents de représentation de l'espace, en connaissaient bien les limites. Avant que Escher n'en livre les versions les plus élaborées et troublantes, Piranèse, de même que Hogarth, s'y étaient essayé. Hockney a plus tard repris le flambeau.



16. Salvador Dalí
Dès L'Homme invisible de 1929, Dalí s'est intéressé à la double image, qu'il théorise en 1930 dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution. Elle devient l'outil principal de sa méthode paranoïaque-critique, que Breton définit par « associations et interprétations délirantes ». Après en avoir fait l'une des formes de sa « machine à penser » (1935), le peintre en donne le mode d'emploi en 1937 à propos de Métamorphose de Narcisse : elle apparaît « si l'on regarde pendant quelque temps avec un léger recul et une certaine fixité distraite ». « L'idée obsédante » n'est pas forcément freudienne, même si Dalí était très fier d'avoir rencontré Freud en 1938, car, à ses yeux, c'est la nature entière qui s'avance masquée.




17. Double entendre
« Double entendre », en anglais, correspond au « double sens » français. Il désigne une figure de style semblable au calembour, dans laquelle une expression comporte deux sens différents. Le premier sens a en général une signification littérale, alors que le second révèle une signification cachée souvent osée ou grossière, exigeant parfois un décryptage par un code de complicité particulier.

17. 1 - Face au torse
Le torse, avec ses deux tétons, invite au dessin d'un visage, comme le fait Annette Messager. Parmi les monstres des régions reculées que décrivaient Hérodote et Pline figurent les Blemmyes, qui n'ont pas de tête et ont le visage sur le torse. On les trouve représentés dans les miniatures médiévales. C'est bien sûr au ventre du diable que la chrétienté médiévale prête ce physique grotesque et effrayant. Le monstrueux se transforme paradoxalement en séduction. Pour nous, il a été supplanté par le visage-torse plutôt séduisant et en tout cas troublant de la blonde du Viol de Magritte, qui se présente comme une parfaite créature surréaliste.

17. 2 - L'anatomie du désir
La Princesse X de Brancusi est l'aboutissement sur le plan esthétique de la conjonction du sexe et du corps féminin. La mutation du phallus en être humain remonte loin, puisqu'on la trouve incarnée dans la Vénus des Milandes. Les rites de fertilité sont nombreux dans des cultures variées à donner des allures anthropomorphes à l'organe qui déverse sa semence. Le fascinus latin, à la fois fauve et volatile, doté de clochettes, est un porte-bonheur apotropaïque si répandu qu'on en trouve le souvenir sur des insignes de pèlerins au Moyen Âge.


17. 3 - Vu du crâne
Le terme allemand d'Aussicht, que Markus Raetz utilise pour ses vues de la mer à partir d'une grotte, désigne l'intérieur du crâne à partir duquel se porte notre regard. Des tentatives pour rendre compte simultanément de la vision et du point de vue à partir duquel s'élabore la perception ont abouti à des sortes de Vanitas à l'envers, comme si les yeux du loup de Tex Avery reculaient dans le crâne et voyaient les deux orifices oculaires au premier plan. Les grottes ont fourni une intéressante métaphore pour l'appréhension très particulière d'un regard à la fois interne et externe. La thématique d'Éros et Thanatos trouve une expression privilégiée avec les couples dissimulés dans les crânes.



18. Imagerie populaire
L'imprimerie a donné une large diffusion à l'image ambiguë. Les éditeurs se sont emparés des images doubles dès la Renaissance et les ont très largement répandues : images composites arcimboldesques, paysages anthropomorphes, trois âges de la vie, etc. Ce succès populaire leur a sans doute nui, car elles sont apparues vulgaires aux yeux de l'art savant, jusqu'à leur réhabilitation par les surréalistes. Elles ont beaucoup été employées pour déjouer la pruderie bourgeoise. Les jeux d'images ambiguës ont exploité les ressources inépuisables qu'offrent l'érotisme et la sexualité. Des artistes anonymes ont rivalisé d'invention, en particulier dans les objets publicitaires et la carte postale au tournant du siècle. Ces petits chefs-d'œuvre d'humour et de malice ont fait les délices des amateurs, dont Paul Éluard fut un des collectionneurs pionniers.



19. Jeux de métamorphose
Œuvres de Alain Fleischer, Tim Noble et Sue Webster, Vincent Corpet.




20. Markus Raetz
Markus Raetz est né en 1941 près de Berne, où il vit. Il appartient à la génération d'artistes qui, des deux côtés de l'Atlantique, ont remis en cause les dogmes du modernisme et notamment l'opposition entre abstraction et figuration. Raetz est celui d'entre eux qui a exploré le phénomène de la perception et la création d'images multiples de la manière la plus rigoureuse et méthodique. Selon une démarche à la fois ludique et expérimentale, inventant continûment de nouvelles difficultés à vaincre, il a passé de la deuxième à la troisième dimension et du mouvement suggéré au mouvement effectif, dans un dialogue silencieux avec l'art du passé, la littérature et les sciences de la perception et de la cognition. Produits d'un processus d'expérimentation artisanale, ses œuvres sont des méta-images qui tirent avec malice le spectateur de sa routine perceptive pour lui faire voir double et mieux.




21. Voir double au cinéma
La double image se rattache aux trois régimes de l'image cinématographique sous la forme de la fausse reconnaissance, la coïncidence des images par surimpression et le fondu-enchaîné.
La perception peut être abusée selon deux modes, soit que l'angle de prise de vue, la perspective, en fasse une image pour tromper (Tati), soit que l'image ne se dévoile que partiellement (Dalí, Bergman).
La surimpression d'images produit d'habitude des gags visuels, mais elle peut avoir un contenu symbolique ou psychologique. La psychanalyse ouvre le champ aux surimpressions comme fruit du rêve (Hitchcock).
Le fondu-enchaîné, associé techniquement au gros plan qui permet de fondre des objets ou des formes de dimensions différentes produit un effet particulier qui atteint directement l'affect (Eisenstein).





Les commissaires





Jean-Hubert Martin
Directeur de musées et commissaire d'expositions de réputation internationale, Jean-Hubert Martin a suscité une attention toute particulière dans le monde entier, non seulement en tant qu'expert des milieux artistiques européens et américains, mais également en tant que connaisseur de l'art contemporain originaire des cinq continents. Citons la grande rétrospective Francis Picabia au Grand Palais à Paris (1976), conçue par J.-H. Martin, ainsi que les deux grandes expositions sur Man Ray (1972 et 1982) qu'il a organisées pour le Musée National d'Art Moderne de Paris. En 1988, en sa qualité de directeur du Musée National d'Art Moderne de Paris, il a pour la première fois aménagé une salle d'exposition exclusivement consacrée aux œuvres de Marcel Duchamp, au Centre Pompidou. En 2008 il a consacré une "Surexposition" aux relations amicales de Duchamp, Man Ray et Picabia.

Outre le mouvement dada, J.-H. Martin s'est aussi particulièrement consacré à l'art russe. En 1978, il a organisé au Centre Pompidou l'exposition Casimir Malevitch, et a publié ses Architectones, encore peu étudiés à l'époque. En 1985-86 il a organisé, à la Kunsthalle de Berne puis à Düsseldorf, Marseille et Paris, la première exposition individuelle en Europe de l'ouest pour Ilya Kabakov qui, dans les années quatre-vingts, appartenait encore à l'underground de Moscou. Il est membre du jury du Prix Kandinsky et prépare la Biennale de Moscou pour septembre 2009.

Jean-Hubert Martin a été l'un des premiers conservateurs à montrer des œuvres d'art venues du monde entier lors d'expositions comme "Magiciens de la terre" (1989), et il a exposé pour la première fois des œuvres d'artistes encore inconnus tels que Frédéric Bruly Bouabré, Bodys Isek Kingelez et Huang Yong Ping. Il a ainsi ouvert un débat passionné sur la signification de l'art non occidental et la valeur qui lui est accordée ; ce débat n'est pas clos. Son travail pour les biennales de Sydney (1982 et 1993), Johannesburg (1995) et Sao Paolo (1996) reste fidèle à ce thème central. L'exposition "Rencontres Africaines"; organisée en 1994 à l'Institut du Monde Arabe à Paris, a témoigné avec force des nouvelles visions sur l'art africain contemporain. En 2004 il initie l'exposition "Africa Remix", premier panorama de l'art africain contemporain.
Lorsqu'il était directeur du Musée National des Arts d'Afrique et d'Océanie, à Paris, J.-H. Martin a placé la contextualisation personnelle des artistes sur le devant de la scène. Dans le cadre de la "Galerie des Cinq Continents", une série d'expositions conçue spécialement pour le musée, les artistes ont présenté, parallèlement à leurs propres œuvres, des objets représentatifs de leurs cultures, de l'histoire de leurs pays et du contexte de leurs origines.

J.-H. Martin a exploité l'idée du cabinet de curiosités lorsqu'il a pris la direction du Château d'Oiron. Sans modifier le décor historique de ce château de la Loire il a chargé plus de soixante-dix artistes de transformer les salles en un cabinet de curiosités in situ, créant une symbiose entre les œuvres d'art contemporaines et l'architecture historique. Il s'est efforcé de montrer l'art dans un contexte de dialogue et d'associations échappant aux catégories chronologiques et techniques, d'abord avec la présentation de la collection au Museum Kunst Palast en 2000, puis avec "Artempo" au Museo Fortuny à Venise en 2007. J.-H. Martin a franchi une étape supplémentaire lors de la biennale de Lyon ("Partage d'exotismes", 2000). Il a articulé cette manifestation autour de questions anthropologiques qui étendaient le terme d'exotisme au monde occidental et retournaient ainsi la façon de voir les choses : le regard de l'Occident n'est plus seul point de référence, il est complété par la vision que le reste du monde a de l'Occident.
L'exposition "Altäre - Kunst zum Niederknien" (autels - l'art de s'agenouiller) qu'il a organisée en 2000 en sa qualité de directeur général du museum kunst palast de Düsseldorf posait la question de la richesse de l'art religieux dans le monde aujourd'hui et du mépris néo-colonial que lui voue l'Occident.



Dario Gamboni
Dario Gamboni est né en 1954 à Yverdon (Suisse). Après des études à l'université de Lausanne et à l'EHESS il défend sa thèse La plume et le pinceau. Odilon Redon et les rapports entre art et littérature en 1989. Il est depuis 2004 professeur d'histoire de l'art et de l'architecture de la période contemporaine à l'Université de Genève, auparavant il a enseigné à l'Université Lumière Lyon II de 1991 à 1997, à la Case Western Reserve University de Cleveland, Ohio entre 1998 et 2000 et à l'Université d'Amsterdam entre 2001 et 2004.

Dario Gamboni fut membre de l'Institut Universitaire de France entre 1993 et 1998 et Ailsa Mellon Bruce Senior Fellow au Center for Advanced Study in the Visual Arts (CASVA), National Gallery of Art, Washington en 1996. Il a obtenu le prix Meret Oppenheim de la Confédération suisse en 2006 et sera Paul Mellon Visiting Senior Fellow au CASVA en 2009.

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