jeudi 12 novembre 2020

La fabrique de la démocratie par Lyne Cohen-Solal

La fabrique de la démocratie La démocratie, ce système de gouvernement imaginé, dit-on, par Solon et mis en place par Athènes au 6è siècle avant notre ère, prévoit que le peuple se donne les moyens de se gérer directement ou par l’intermédiaire de représentants. Le principal outil en est le vote, c’est-à-dire l’expression par chacun de son choix, chaque voix compte et doit être comptée. C’est la base même de la démocratie. Dans la plus vaste démocratie du monde qui est celle qui a institué la démocratie dès 1789 à Philadelphie, là où les derniers décomptes et débats ont lieu, et même si les pères de la première Constitution se méfiaient des citoyens, l’élection du Président américain constitue l’aboutissement de nombreuses étapes, des primaires du New Hamsphire à l’Inauguration Day à Washington. Pour décider indirectement de qui sera l’un des hommes les plus puissants du monde et leur 46ème président, les citoyens américains viennent de nous offrir le spectacle passionnant, en « live », de la fabrique de la démocratie avec ses longueurs, ses incertitudes, surtout ses fantassins et milliers de « petites mains ». L’échelle donne le vertige ! Après le 3 novembre 2020 pour la démocratie américaine, ce sont plus de 144 millions de bulletins de vote à dépouiller pour connaître les résultats tant attendus ! Un processus traditionnel, à la fois complexe, lent et bien huilé qui a déjoué les prévisions des sondages. Dans l’un des pays les plus avancés en technologie, il est formidable de remarquer que ce sont encore les méthodes les plus simples qui assurent les opérations les plus délicates. Dans ce pays immense, où tout va vite, quelquefois trop vite, la mise en place de la démocratie prend du temps, beaucoup de temps, quelquefois plusieurs jours, voire des semaines en cas de contestations. La « fabrique » de cette grande démocratie est confiée à des milliers de femmes et d’hommes bénévoles qui, des heures durant, vont assurer ces opérations de vote puis de dépouillement. D’abord, s’assurer que chacun apporte sa voix, accueillir les citoyens qui se présentent pendant des semaines dans les bureaux, puis, après la clôture du vote, ouvrir chacune des 144 millions d’enveloppes, déplier chacun des bulletins, le lire, noter chaque réponse puis compter les voix pour chacune de ces réponses, les recenser dans des tableaux puis rassembler ces chiffres au niveau de chaque comté, tous ces gestes essentiels et délicats sont effectués conjointement par deux assesseurs, un pour chacun des deux grands partis candidats et sous les yeux de contrôleurs. L’irruption de la durée et de gestes de l’artisanat dans ces régions si proches de la Silicon Valley peuvent produire des images contrastées. Pas de robot, pas d’ordinateur pour donner les résultats mais des citoyens volontaires pour servir la cause à laquelle ils croient et qui les dépasse. Des images émouvantes qui, derrière les statistiques, cartes et calculs digitaux des TV en direct contraintes de respecter le rythme lent des dépouillements, nous permettent d’apercevoir ces fantassins de la démocratie avec leur visage, leurs mots, leurs émotions, leur engagement local, dans leur Etat, leur comté. Ces femmes et hommes dévoués qui, au milieu d’une terrible pandémie et malgré les heurts politiques, ont choisi de participer ensemble avec patience et fierté à la fabrique de leur démocratie. Aujourd’hui, comme dans tant d’autres démocraties, c’est bien au peuple qu’il revient de la mettre en place. Cela apparaît évident, nécessaire, voire indispensable pour construire et garantir les bases de ce système de gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. C’est sa noblesse. C’est ainsi que se forge le respect. Car, soyons clairs, ce système lourd exige des citoyens respectueux, même vertueux, pour le faire fonctionner. Et cette qualité première, la vertu, s’assure par la mobilisation, l’engagement de gens sincères dans les bureaux et opérations de vote avec peu de ratés dans le pays. Ce recours au traditionalisme, voire à l’archaïsme de gestes humains dans la nation la plus technologiquement développée, quand elle choisit, décide de qui la gouvernera, prend ainsi une dimension impressionnante, quasi mystique. Lyne Cohen-Solal Paris le 7/11/20