mercredi 25 mars 2009

Patrizio Miceli


Ne pas se fier à ses airs d'ado aux manières parfaites - tendance Lucien de Rubempré mâtiné de Rastignac. Ne pas se laisser égarer par son allure de dandy post-moderne - il arbore comme personne smoking ou velours rouge très Barbey d'Aurevilly dans ses repères du Xe arrondissement. À 31 ans, Patrizio Miceli n'est ni un ange, ni un démon, pas davantage une fashion victim. Il est plutôt celui qui nous transforme tous en recessionistas : il est le premier à avoir su capitaliser sur la crise à coup de slogans imprimés sur stickers et T-shirts en édition limitée (on en est à la troisième vague, dessinée par des créateurs) qui se sont arrachés chez colette et bientôt chez Barney's. Au choix, " Karl, Marc et John adooorent la crise ", " Si la crise devient mondiale, je quitte le pays " ou dans les dernières versions destinées au marché américain " La crise sent me a friend request ".

Cette blitzkrieg sur l'effondrement financier n'est-elle qu'un avatar de la hype la plus pointue ? Non. Même si le jeune Patrizio maîtrise tous les codes de la fashion et de l'art. Son nom fait en effet se pâmer esthètes et fashionnistas : les Miceli, c'est une dynastie, où le père est éditeur d'art, la mère journaliste influente, et la soeur un mythe de la galaxie Marc Jacobs chez Louis Vuitton... Cela donne de l'entregent. Pas un métier ni un prénom.

À dire vrai, Patrizio n'a pas attendu la fin 2008 pour s'en faire un. Éducation classique, école de commerce et premier job en 1999 chez Chanel pour une mission de veille technologique sur les sites Internet alors que l'honorable maison de la rue Cambon entre dans l'ère du web... Il ne s'ennuie pas mais veut voler de ses propres ailes. Sur une manière d'intuition, il devient marchand de babouches. Enfin de celles que l'on arbore à East Hampton ou chez les Orléans-Bragance à Parati (Brésil). Succès immédiat, développement et revente rapide. Morand aurait adoré ce garçon : c'est un homme pressé.

En 2004, il crée son agence de branding, Al Dente. Un clin d'oeil à l'Italie, à maman - dont les pasta parties sont la version XXIe siècle du salon des Guermantes - mais également un nom qui joue entre le " bien, trop, pas assez cuit ". Et cet équilibre entre fantaisie et sérieux, c'est sa marque de fabrique. Premiers clients ? Chanel, Gucci group, Estée Lauder et les autres pour des missions classiques de stratégie de marque et de mise en musique de leur communication. La vraie bonne idée ? Un concept " Muso " - comme " muse et museau ", précise-t-il en souriant... il s'agit d'aller renifler sur les marchés émergents la bonne tendance en étudiant la bonne population. Pas pour se promener. Ce bourlingueur chic et choc - il a fondé un réseau de voyageurs sur Internet, www.planaplanb.fr - sait que le luxe n'est pas qu'une affaire bulles de champagne. " Les clients veulent du concret et du résultat ". Quand il part à Tokyo, au Brésil ou à Hong Kong pour analyser les faits et gestes de micro-tribus, identifiées par les marques comme des cibles commerciales, le cahier des charges fait passer la lecture d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes pour du Barbara Cartland. Au retour, c'est une valise, stricto sensu, qu'il livre au client : de la musique écoutée par les zoziaux observés jusqu'à leurs habitudes alimentaires, l'ensemble est plus réjouissant mais tout aussi documenté qu'une étude du CNRS. Avec un avantage. Elle est performative : " J'arrive avec des propositions concrètes de développement de produits ou de choix de lieux d'implantation ".

Une activité qui marche bien jusqu'au moment où fin 2008 " le téléphone s'est grippé ", comme il dit... mais bon, " plutôt que se subir, mieux vaut réagir et en rire ". Le 1er décembre, l'idée de jouer avec la crise à coup de slogans naît. Le 5 décembre, le site aldentelacrise.com est en ligne, le 15 décembre les premiers T-shirts sont chez colette, les radios, les télés s'emparent du phénomène. Et très vite, les marques de luxe - un peu déboussolées par la morosité ambiante - observent avec envie ce mode de communication de crise. Ciblé alliant réactivité, utilisation du web version 2.0 (les Internautes créent certains des 4 500 slogans disponibles) et d'un réseau ciblé de trend-setters et de relais dans la presse, le buzz au final fait vendre. Aujourd'hui des T-shirts, pourquoi pas demain de la haute-joaillerie ou des sacs ? On vous avait averti. Ce garçon est plus sérieux qu'on ne le croit. Son élégance, c'est de camoufler, sous un sourire, le travail - un trait très Couture finalement. On n'échappe pas aussi facilement que cela à la fashion...

GILLES DENI

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