lundi 9 mars 2009

Patrizio Bertelli / Prada


Patrizio Bertelli



1946 : Naissance à Arezzo dans la province toscane, issu d’une lignée de juristes.

1967 : Féru de métaphysique, il étudie à l'Université de Bologne, oubliant de prendre l’option « langue étrangère». Son diplôme d'ingénieur en poche, c’est cependant en tant que fabricant de cuir qu’il débute sa carrière.

1977 : Surpris la main dans le sac en train de vendre des copies bon marché de sacs Prada lors d’un salon commercial de Milan, il se fait poursuivre en justice par la styliste de la marque avant qu’elle ne préfère le recruter pour s’occuper de la fabrication de ses accessoires. Le début d’une association fructueuse et d’une romance à l’italienne… Miuccia, la bourgeoise-intello milanaise à tendance communiste accro de mode, et Patrizio le pragmatique homme de comptes florentin, se marièrent et eurent deux beaux enfants… « On nous regardait bizarrement à cause de notre association styliste et chef d'entreprise… On se demandait comment nous pouvions être les deux à la fois. Or, c'est très simple. Miuccia, grâce à son instinct, et moi, par l'analyse, arrivons toujours au même point.»


1988 : Signature de la première collection prêt-à-porter Femme. Des filles aux airs de secrétaires coincées défilent, le genou pudiquement couvert par des jupes imprimées papier peint 70. Mais plus que les vêtements et les chaussures, c’est un sac à dos défiant les clichés de la bourgeoisie qui fera la renommée de la marque, et sa fortune : en toile de parachute, orné d’une anse chaînette (qui aurait, dit-on, déclenché les foudres de la maison Chanel…) et du logo triangle de la maison familiale – marque de fabrique de la maroquinerie de luxe qu’avait fondée le grand-père Prada – tout en simplicité, au prix allégé de 450 $, il devient le « it bag » de la consommatrice moyenne.



1990 : Au fil des années 90, à coups de campagnes publicitaires sophistiquées, de lignes déclinées – Miu Miu, Prada Hommes, Prada Sport – et de boutiques relookées, la maison Prada connaît une ascension fulgurante ; le tout contre la volonté de Miuccia. « Les chaussures, j’étais contre. Les vêtements aussi. Je n’ai jamais voulu en faire plus. » déclarait-elle. « Eh bien, on le fera sans toi » répliquait Bertelli chaque fois que sa femme rechignait. Pas de sentiments dans le milieu des affaires quand on est un « entrepreneur qui fonctionne au défi »… Sa méthode : tout contrôler par la terreur. Réputé pour son tempérament bouillonnant et ses éruptions volcaniques, le bulldog de la finance contrôle les moindres détails de sa société : du recrutement au papier à lettre, jusqu’au menu de la caféteria du personnel.


1994 : Des stratégies commerciales peu conventionnelles… Au-delà du fait qu’il considère la copie comme un « jeu de la mode » – « Je serais plus inquiet si mes produits n’étaient pas copiés » – il est capable de saborder la ligne de sacs à main la plus rentable de sa société pour ne pas que sa marque soit associée à un seul produit. Il peut aller jusqu’à « se mêler de la création au point de refaire personnellement une collection entière de sacs à main. » « C’est parfois agaçant, mais quand il touche à un produit, je dois admettre que c’est pour le mieux » avoue Miuccia, presque à contrecœur. En somme, une politique de développement bien à eux… «Pour nous, les licences ne sont pas un outil du business. Nous préférons garder le contrôle. On aime savoir tout ce qui se passe avec nos produits. Nous sommes contre la surexposition de la marque. C'est notre différence essentielle.» D'où leur choix, à l’époque – mais les choses ont bien changé depuis – de ne faire ni collections de bijoux, ni lignes de montres, ni même un parfum : « Nous ne voulons pas qu'un de nos produits soit géré par une multinationale » Pourtant, eux ne se gênent pas pour s’ingérer dans les affaires des autres…



1997 : En l’espace de quatre ans, assis à la table des barons du luxe, le Big Boss frôle l’indigestion, achetant en un temps record Jil Sander, Helmut Lang, Azzedine Alaïa, les chaussures Church et Car Shoe, les marques Byblos et Genny et en s’associant à LVMH pour s’emparer de Fendi (pour 520 millions de $) dans le seul but de faire de son multimarque un partenariat international – aux yeux plus gros que le ventre. Prada Holding, entreprise florissante qui employait 7 500 personnes et comptait 290 boutiques à travers le monde, était passée de 25 millions de dollars de capital en 1991 à 750 en 1997.



2000 : Si bien que, euphorisé par les bénéfices de sa « Love affair », le valeureux patron se mit à jeter l’argent par les fenêtres, pour réaliser ses caprices de nouveau riche… « C'est mon luxe et ma liberté » se défendait-il. Engloutissant 50 millions de dollars dans la construction d’un somptueux bateau, le Luna Rossa, pour participer à des courses de voile, il saisit l'opportunité de sa passion pour bénéficier des retombées médiatiques des régates, plus que de ses (rares) victoires, tout en promouvant la ligne Prada Sport. « Dans le sport, je ne suis pas de ceux qui jouent les Coubertin. Ce qui m'intéresse, c'est de gagner, pas de participer. » Mais un grand financier ne serait pas un mégalo accompli sans avoir bâti, pour la gloire de son empire, sa propre fondation d’art contemporain et fait appel au plus « conceptuel » des architectes, Rem Koolhaas, pour illustrer sa puissance d’une boutique épicentre de 2 200 mètres carrés en plein centre de Manhattan, au coût exorbitant de 40 millions de dollars… «Nous en avions marre de ce principe qui voudrait que toutes les boutiques dans le monde se ressemblent » renchérissait la vestale des lieux, le soir de l'inauguration.


2002 : Le tonnerre gronde. Battu à plates couture lors de la finale de l’America’s Cup, recalé en bourse à trois reprises (la première en raison des attentats du 11 septembre qui vit chuter le marché du luxe, les deux autres « pures inventions de la presse » selon les dires du couple…), plaqué par Jil Sander qui claqua la porte de sa maison et du groupe pour cause de « désaccord sur la manière de gérer la société »… Les dettes du groupe sont estimées à 1,9 milliard de dollars, soit à peu près l’équivalent de son chiffre d’affaires.

2006 : Chiffre que l’appétit de l’ogre Bertelli mis au régime – contraint aussi de se débarrasser des marques Helmut Lang, Byblos et Fendi – conteste non sans mauvaise foi : « Il s'agit non de dettes, mais d'investissements. Nous n'avons pas effectué nos acquisitions dans le seul but de devenir grands. En 1998, nous n'avions pas de dettes. Pour toutes les marques, il a fallu réorganiser la production, régler les problèmes de gestion et revoir les franchises. Aujourd'hui, nous avons remis les pendules à l'heure. Le développement d'une marque est une question difficile qui intervient dans un second temps. D'abord, il faut reconstruire. Et, souvent, il suffit de peu pour être positif. Mais, tant qu'on n'a pas la maîtrise de tous les éléments, c'est le bordel ! » Pas sûr désormais que le groupe Prada obtienne des banques l'autorisation de lancer un emprunt convertible de 700 millions d'euros pour faire face à son endettement, comme ce fut le cas lorsque les dollars coulaient à flots...


2007 : A défaut d’une entrée en Bourse, les affaires vont bon train : après sa cure d’amaigrissement, le bénéfice net 2007 fait un bon de 66%, grâce notamment au marché asiatique.

2008 : La marque continue d’être où là on ne l’attend pas en annonçant un projet d’architecture à Séoul – toujours avec Rem Koolhaas – qui accueillera expositions, cinéma, mode… et en demandant à Hedi Slimane de shooter sa prochaine campagne homme. La meilleure manière d’accueillir la crise n’est-elle pas d’anticiper ?

Article paru dans Magazine, N° 48 février/mars 2009 (spécial mode)

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